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Carnet du Malawi Aperçus du Malawi

Carnet du Malawi n° 17

Clem

La chèvre, la vache et le chien
Un jour la chèvre, la vache et le chien, lassés de se fatiguer des heures à marcher depuis les pâturages et lieux d'ébats vers le bercail, décident de faire affaire ensemble pour prendre le taxi. Après un trajet somme toute confortable et inhabituellement reposant, passé à disserter sur la qualité de telle herbe, sur le fondant de tel feuillage ou sur le goût relevé de tel jarret, nos compères arrivent à destination. Sur ces entrefaites, la vache, toujours consciencieuse, paye l'appoint de sa part de course au chauffeur. Le chien quant à lui, toujours un peu brusque mais au fond bonne pâte, donne un gros billet en demandant la monnaie. Qu'elle n'est pas sa surprise d'entendre le chauffeur lui répondre que puisque la chèvre s'est enfuie sans payer (le chien ne l'avait pas même remarqué), la monnaie du chien serait utilisée à cette fin.
Depuis, et vous le remarquerez certainement en venant ici au Malawi, la vache déambule toujours nonchalamment sans broncher au milieu de la route (satisfaite d'avoir rempli son devoir en payant la course). Le chien quant à lui, toujours furieux qu'on ne lui ait pas rendu sa monnaie, court sans arrêt derrière les véhicules aboyant tant et plus. La chèvre elle, pas peu fière de son forfait mais craintive des retombées, n'a qu'une idée en tête : s'enfuir dès qu'on s'approche.

Cette petite histoire malawienne à la manière de La Fontaine m'a paru bien sympathique. Pour autant, il faudrait encore que je creuse plus avant s'il n'existe pas d'histoires avec les autres animaux domestiques qui errent ici sur les chemins : moutons, poulets, cochons et canards ont aussi leurs caractères bien trempés !

Un an, bon an
Voici maintenant un an que j'ai foulé pour la première fois le sol malawien. Sans céder vraiment à la mode des anniversaires, il est intéressant de se demander de temps à autre : suis-je satisfait de cette expérience, y ai-je trouvé un peu de ce que je cherchais ?

Ce que je ne cherchais pas particulièrement, certainement. Le hasard des rencontres a ceci de merveilleux qu'il nous ouvre un univers inattendu, à faire fructifier. Les rencontres et l'affection qui en découle peuvent avoir lieu partout, bien sûr, mais leur unicité implique qu'il m'est a posteriori difficile de regretter tout changement de lieu de vie, même expatrié.

Pour autant, faire trop longtemps de sa vie un chemin d'itinérances (et pour moi le Malawi en est une de plus) implique que l'on risque de perdre un peu ses racines. Après cette expérience au Malawi, je sais qu'il est un moment (et ce sera le cas quand je quitterais ce sol africain) où à s'expatrier, cela doit être pour vivre avec celui ou celle qu'on aime, pour se construire plus que pour se perdre.

Par ailleurs, cette expérience répond certainement à mon souhait initial de me faire ma propre idée, en pratique, d'une "aide au développement". Et comme souvent, elle apporte autant de questions que de réponses. Mais d'un autre côté, j'en ressors probablement avec une meilleure compréhension des relations complexes qui orientent l'aide au développement. La diversité des contextes (même au sein du Malawi), la multiplicité des approches (aide privée, religieuse ou gouvernementale, opérationnelle ou d'appui institutionnel) et leur degré de professionnalisme font que cette aide peut être tout aussi bien négative, inutile ou positive.
Dans ce vaste jeu de go multi joueurs, où chaque partie essaye de justifier son action ou inaction en prenant position ici ou là ("c'est mon territoire légitime" dirait telle ONG ou programme institutionnel) j'ai la grande chance de travailler sur un projet qui, pour le moment, me semble positif dans ses résultats à court et à long terme.
C'est pourtant très subtil (l'action est-elle plus positive que négative ?) et des collègues d'un projet voisin peuvent avoir parfois l'impression, qu'étant donné le contexte, ils ne font qu'entretenir une situation de dépendance à l'assistance extérieure. Leur sentiment étant alors qu'il est de toute façon plus pertinent de participer à la vie politique et citoyenne, disons en France, plutôt que de travailler sur des projets opérationnels d'aide au développement qui, au mieux, ont une action positive mais dérisoire.
Cette expérience me pousse pourtant à considérer que le mieux vivre des gens (qui est bien l'objectif du développement) passe par une multitude de réponses, variables dans le temps et dans l'échelle (par exemple, il peut être pertinent à un moment donné d'aider à construire des puits, puis ne plus l'être ; et dans tous les cas cela ne dispense pas à ce que l'accès à l'eau soit respecté par le droit local, gouvernemental et international).
En outre, il me semble que dans ce monde de toute façon interdépendant (même les malawiens dépendent ainsi fortement du marché mondial du tabac) les échanges interculturels si ce n'est techniques et la compréhension qui en découle ont du bon.

Par ailleurs, je ne me lasse pas de découvrir encore et encore les cultures différentes de la mienne, sans compter le sol et la nature évidemment. On me dira qu'il est trop facile de s'enthousiasmer pour ce qui est visiblement très différent. Certes, mais la beauté de la différence n'empêche pas d'apprécier ce qui est beau et bien chez soi.

Bref, malgré les difficultés (et en premier lieu l'éloignement) je suis bien content de cette expérience !

Terre nourricière
Bien qu'il y ait eu finalement de bons épisodes de pluies ces dernières semaines, certaines zones dans la plaine entre Zomba et le Mulanje (Mayaka étant situé à peu près au milieu) auront connu cette saison un fort déficit de précipitations. C'est le cas également, paraît-il, dans la basse vallée de la Shire au sud-ouest du Malawi. Déficit très localisé mais qui fera certainement souffrir bon nombres de paysans d'ici quelques mois, à partir de septembre, lorsque les maigres récoltes auront été épuisées.
La précarité de la situation des paysans malawiens est bien sûr accentuée par la pression sur la terre due à la forte densité de population. Cela ne peut pas se passer comme au Brésil où une agriculture rapace se saisit d'une richesse gisante (les terres fertiles après déboisement) puis s'en va ailleurs déboiser une nouvelle parcelle après avoir épuisé le sol de la précédente. Ici dans le Sud Malawi, il n'y a pas ou peu d'ailleurs possible. Chaque parcelle est exploitée. Avec la densité de population augmentant, le système de rotation des cultures qui prévalait les siècles précédents, n'est plus possible ; il n'y a plus assez de place.
Probablement, cette évolution s'est produite à une échelle de temps relativement rapide, ne laissant pas le temps au système agro-écologique de trouver un équilibre : aujourd'hui les terres s'épuisent et les rendements diminuent s'ils ne sont pas soutenus par les engrais industriels.
Ailleurs, l'impression d'équilibre agro-écologique qui pouvait prévaloir en France jusqu'aux années 1950 (bien que je sois trop jeune pour m'en rendre directement compte) a été bouleversé par la politique du remembrement, par la production intensive et par son corollaire la "Politique Agricole Commune". Choix politique ne répondant pas uniquement à des critères de sécurité alimentaire (la production agricole française est d'ailleurs depuis bien longtemps excédentaire). Est-ce toujours la politique à suivre aujourd'hui dans cette région d'Europe ?
Au Malawi, l'apport d'engrais et pesticides industriels subventionnés répond aujourd'hui réellement à une problématique de sécurité alimentaire. Sera-ce toujours la politique pertinente dans 10 ou 30 ans ?
De toute façon, dans les deux cas (en Europe occidentale et au Malawi), les acteurs du secteur et décideurs politiques font face dans le domaine à au moins trois enjeux de taille : la question foncière, un équilibre agro-écologique à retrouver et les contraintes d'un marché agricole mondialisé… Vaste programme !

Tabac
Quoi qu'il en soit, en ce moment au Malawi, la récolte du maïs n'a pas encore démarré mais les feuilles de tabac sèchent sous tous les préaux, nouées deux par deux, de part et d'autre de longs bâtons en eucalyptus. Les rangées les plus en haut supportent les feuilles les plus sèches, les plus basses les feuilles encore vertes à peine récoltées. Au fur et à mesure que les feuilles sont sèches, on les rentre à l'intérieur de la maison pour faire de la place aux suivantes par un transfert progressif des claies vers le haut du préau.
Et depuis deux ou trois semaines, grâce au tabac, les marchés s'animent à nouveau. Il faut voir à chaque croisée de chemin les petits intermédiaires munis de leur balance peser et estimer la qualité du ballot de tabac que les paysans du coin lui amènent.
Tout le tabac du secteur, sur un rayon d'environ 15 à 20 kilomètres, transite par Mayaka où se tiennent les enchères locales. Ce système commercial intermédiaire complexe (que je suis loin d'avoir bien compris et analysé) achemine le tabac jusqu'à Limbe, la banlieue de la capitale économique du Sud du Malawi, où les enchères impliquent les acheteurs internationaux.
Si Mayaka est aujourd'hui déjà un peu plus qu'un gros village, c'est en grande partie grâce au tabac, source de devises. Grâce à lui, les villageois ont un peu d'argent à dépenser au marché (celui de Mayaka est un des plus gros du coin), ou bien aux buvettes (dont l'activité explose à la saison de la vente du tabac). Cela permet aussi aux transporteurs de Mayaka d'augmenter singulièrement leur chiffre d'affaire et ainsi de bien s'en sortir.
Les Malawiens fument, mais pas tant que ça, du moins à l'œil du novice qui reste le mien. Certains, plus aisés fument les cigarettes industrielles, d'autres les feuilles de tabac local roulées dans du papier de cahier d'écolier. J'avoue une fois avoir été étonné par un paysan me déclarant que le tabac qu'il cultivait et faisait sécher était poison et qu'il fallait le faire passer par les procédés industriels pour pouvoir à terme le fumer. Ma connaissance du monde du tabac est trop limitée pour juger si les traitements ultérieurs de fermentation (qui permettent à la nicotine et à l'ammoniac de s'évaporer partiellement) rendent effectivement le tabac moins poison, ou bien si mon paysan pensait à tous les pesticides qu'il avait appliqué ?
Le Malawi était (d'après une source non vérifiée sur internet) le 7ème producteur mondial en 2007, après la Chine, le Brésil, l'Inde, les Etats-Unis, l'Argentine et l'Indonésie. Au regard de la taille du pays le résultat est assez impressionnant. Cela est probablement du au fait que le Malawi combine un système de production à la fois industriel (sur de grandes plantations) et familial (ce dernier mode étant assez récent depuis la libéralisation des années 1990). Pour autant, le tabac n'est que très peu transformé au Malawi, ce qui prive ce dernier d'une valorisation substantielle des recettes (ces recettes complémentaires étant captées par les grosses compagnies tabatières transnationales).
Mais ici les paysans vivent et voient leurs conditions de vie changer pour le meilleur grâce au tabac, et pour le moins bon ailleurs (en Afrique bien souvent) où on le fume.

Je termine ce carnet au son des chants et percussions du voisinage, chorale hebdomadaire à l'occasion de la messe dominicale.

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