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Carnet du Malawi Aperçus du Malawi

Carnet du Malawi n° 21

Clem

Mayaka, 13 octobre 2010

Privés de terre

Discernement
En saison sèche, circulant à travers le
Sud Malawi, le visiteur novice a bien du mal a différencier les champs, les espaces de jachères, les zones forestières clairsemées, les villages mêmes. L'habitat dispersé trouble l'analyse. Mais un regard attentif donne au visiteur une idée de ce qui est une des pièces maîtresses de la géographie locale : tout l'espace est optimisé, chaque bout de terrain a sa fonction, son utilité.
Poussant plus loin son parcours de l'espace rural, l'observateur commence à noter de subtiles différences selon les endroits. Ainsi, telle colline est boisée, telle autre ne l'est pas ; tel champ semble minuscule, tel autre s'étend sur une surface très importante ; ce fond de vallée sert aux pâturages, celui-là est cultivé et irrigué ; ce champ est cultivé à la houe, tel autre à l'aide d'un tracteur ; un paysan fait 200 allers-retours avec son arrosoir alors que plus loin, des plans de cafés sont irrigués avec un système de micro-goutes ; ici des poulets locaux déambulent librement alors qu'un peu plus loin un immense hangar éclairé abrite des milliers de poulets en batterie.…
Grands champs, tracteur, plantation de café irrigué, poulets en batterie… Sommes-nous vraiment au pays des petits paysans et de la culture vivrière ?
Et bien oui. Mais le Malawi c'est aussi les "estates" ces grandes plantations appartenant à un riche entrepreneur et où travaillent quelques ouvriers agricoles. Autour de Mayaka, ces plantations occupent un espace non négligeable, où la monoculture du maïs reste de mise. Une plantation de café est aussi présente, de même que l'élevage de poulet.
Pendant ce temps beaucoup de familles vivent avec moins d'un hectare de terrain à cultiver dans un contexte de forte densité de population rurale (plus de 330 hab./km²).

L'histoire
Ces disparités dans la distribution des terres ne sont pas indépendantes de l'histoire politique du Malawi.
A l'indépendance au milieu des années 1960, le gouvernement Banda a hérité d’une structure agricole divisée entre les domaines commerciaux qui dominaient la production de tabac, thé, sucre, etc., et les petites exploitations axées sur les cultures vivrières. Sans réellement modifier les formes coloniales du pouvoir, la politique gouvernementale a continué à favoriser les exportateurs et les réformes foncières n’ont fait qu’encourager davantage l’expansion des domaines sur les terres communales, transformant les occupants de droit en locataires et créant une nouvelle classe de gens sans terres. Des paysans ont été chassés de leurs terres par l’État pour faire place à des réserves naturelles et autres “zones protégées” qui ont surtout servi à promouvoir le tourisme. Entre 1967 et 1994, plus d’un million d’hectares occupés par des communautés locales selon le droit coutumier sont passés sous le contrôle de l’État et des propriétaires de grands domaines.
Parallèlement, la zone où je réside a connu plusieurs épisodes d'immigration depuis le Mozambique (avec notamment la population Lomwe) augmentant encore la densité de population et la rareté des terres pour certains.

Insécurité alimentaire
Le degré élevé de dépendance à
la monoculture du maïs pluvial, la diminution de la fertilité des sols du fait del'utilisation d'engrais inorganiques, la déforestation et la diminution de la propriété foncière expliquent en partie que la population souffre d'un degré élevé d’insécurité alimentaire. En période de soudure, nombreux sont ceux quin’atteignent pas le minimum calorique journalier requis. Mais malgré tout des stratégies sont mises en place par les paysans pour stabiliser si ce n'est améliorer leur situation.

L'occupation des moins bonnes terres, où l'eau est absente
Les zones les moins fertiles, ou les plus dures à cultiver, ou celles avec l'eau la plus inaccessible n'étaient pas habitées il y a encore un siècle. Aujourd'hui beaucoup de villages s'y sont installés, comme vers Sunuzi au sud-est de Mayaka, dépendant des quelques forages existants (et insuffisants) pour s'alimenter en eau. La nappe y est trop profonde pour y creuser un puits manuellement et les rivières sont à sec une bonne partie de l'année. La vie n'y est pas facile, mais ce n'est pas là que l'on trouve les "estates". Ces derniers se sont fixés là où se trouvent les meilleures terres, plus à l'ouest.

Les associations culturales
Cette compétition sur les terres, couplée à
l’augmentation de la population pousse les agriculteurs à rechercher plus de moyens de subsistance. Ainsi, comme l'ont montré plusieurs diagnostics fait par ici, ils réduisent à un an puis suppriment totalement les jachères. On assiste alors à une rotation maïs/tabac. Pour faire face, indépendamment des programmes de soutien gouvernementaux, les paysans ne disposant que d’une petite surface multiplient les associations culturales, comprenant au moins quatre cultures et jusqu’à neuf dans certaines parcelles aujourd’hui !

Le ganyu
Plus près de la frontière mozambicaine à 30 km de Mayaka vers l'est (vers le district de Phalombe) ceux qui n'arrivent pas à survivre avec leur bout de champ, vont travailler au Mozambique moins peuplé et en déficit de main d'œuvre. Cette vente de main d'œuvre s'appelle ici le ganyu. Après quelques temps de ganyu, le salaire est généralement obtenu sous la forme d'un sac de maïs de 50kg, transporté à vélo. S'il le faut, plusieurs périodes de ganyu sont enchaînées (et donc plusieurs allers-retours avec 50 kg de maïs sur le porte-bagages du vélo). Dans la population, les premiers concernés par le ganyu sont souvent les jeunes couples qui n'ont pas (ou pas encore) hérités des terres de leurs parents.

Une révolution verte
J'ai déjà longuement parlé des programmes de subvention aux intrants agricole de la part du gouvernement malawien actuel. Ils ont eu leur effet, bénéfique ici autour de Mayaka comme ailleurs au Malawi dans la réduction de l'insécurité alimentaire.
Mais là encore, un petit retour historique nous montre que ce genre de stratégie n'est pas nouveau dans l'histoire du pays : depuis 1970, au moins une dizaine de programmes de subvention ont été mis en œuvre. Ce qui n'a pas empêché les famines accentuées lors des périodes de catastrophes naturelles (sécheresses, inondations).
Pour certains "sans terre", la révolution verte malawienne a un goût amer. Tous les engrais et semences du monde ne font guère de différence pour ceux qui n’ont pas suffisamment de terre pour couvrir les besoins alimentaires de leur famille. La solution durable au problème pourrait être ailleurs alors qu'au sud du Malawi, le petit producteur cultive en moyenne moins d’un demi hectare…

Une distribution inéquitable des terres.
Selon l'organisation GRAIN, de nos jours, seuls le Brésil et la Namibie sont encore plus inéquitables dans la distribution de leurs terres que le Malawi. Aujourd’hui la moitié des terres arables du Malawi (14 millions d'habitants) serait répartie entre quelque 30 000 domaines de 10 à 500 hectares. Là où j'ai l'habitude de crapahuter, au pied du Mulanje, j'ai pu moi-même me rendre compte de la taille immense de "l'estate" des Muli Brothers. Les Muli Brothers amis du président Bingu, forment d'ailleurs une tentacule à travers tout le Malawi et sont présents dans la plupart des secteurs d'activité dont principalement l'agriculture.

Accaparement des terres
Cette distribution inéquitable est encore accentuée par un phénomène de concentration des exploitations sous le regard bienveillant du gouvernement et des bailleurs de fonds internationaux.
Un nombre de plus en plus important des grandes fermes malawiennes finit entre les mains d’étrangers. Pour ne citer que quelques exemples :
En 2009,  le gouvernement de Djibouti  a signé avec le gouvernement malawien un accord concernant la concession de 55 000 hectares de terres irriguées.
La Chine est en train de négocier une surface similaire.
Le fonds agricole britannique CRU Investment Management a récemment acheté un domaine de 2000 hectares au Malawi pour y produire des poivrons et autres récoltes destinées à l’exportation vers l’Europe.
Une autre société britannique, Lonhro, affirme être en train de négocier un accord qui couvrirait des dizaines de milliers d’hectares le long du Lac Malawi pour y planter du riz.
L’industrie du sucre est elle aussi en expansion : Des villageois de la province de Chikwawa ont récemment été chassés de leurs terres, sans compensation, par la compagnie sucrière ILOVO, une filiale d’Associated British Foods.

Pour y faire quoi ?
Je rebondi sur l'exemple d'ILOVO dont les pratiques d'expropriation des terres sont reportées par plusieurs sources (l'associations GRAIN, l'association Oxfam France) qui citent des témoins. Certains diront qu'il n'est pas forcément mal de développer une industrie agricole celle-ci employant toujours des ouvriers et créant à la fois de l'emploi et des sources de devises pour le Malawi via les exportations de sucre.
On trouve même du sucre ILOVO "équitable" en Europe comme plusieurs personnes me l'on rapporté.
Mais cela cache certains problèmes, notamment celui de l'utilisation des terres arables pour la production des agrocarburants. C'est le cas avec ILOVO au Malawi. Ainsi, le foreur avec qui j'ai eu affaire cette année pour mon projet fonctionnait avec de l'agrocarburant ILOVO… Dans un contexte comme le Malawi, nourrir les moteurs avant les ventres me pose tout de même question…
Ce n'est pas propre au Malawi dans la sous région. Non loin, au Mozambique, le groupe sucrier Tereos a reçu une concession de 100000 ha récemment, donc 15000 sont déjà plantés en canne à sucre.

Sources
Ne m'en veuillez pas, l'analyse ici n'est guère détaillée, est principalement le fruit de mes observations et n'est enrichie que de quelques lectures. C'est loin d'être le travail scientifique et journalistique que mériterait le sujet. Alors pour ceux qui souhaiteraient en savoir plus, à défaut de venir constater sur place la situation, je vous recommande ces quelques liens internet :

GRAIN - Révolution verte au Malawi : les dessous du “miracle” :
http://www.grain.org/seedling/?id=674

OXFAM France / AVSF – "Privés de terre, privés d'avenir"
http://www.privesdeterre.org/petition

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