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Carnet du Malawi Aperçus du Malawi

Carnet du Malawi n° 22

Clem

Lilongwe, 16 novembre 2010

 

Chers tous,

Me voici à la fin de mon séjour malawien. 21 mois d'expérience africaine. Expérience qui m'a ouvert de nombreuses portes dans ma compréhension et mon usage du monde. J'y ai découvert une tranquillité, un accueil et des sourires. J'y ai aussi appréhendé une liberté d'action, une connaissance du monde rural et une autonomie (ou indépendance) dans la vie de tous les jours. Le Malawi n'est pas, loin s'en faut, le seul pays où l'on puisse le vivre, mais c'est l'expérience formidable dont j'ai pu bénéficier. J’ai d’ailleurs eu beaucoup de bonheur à la partager avec tous ceux qui m’ont rendu visite, jusqu’a ces derniers jours. Merci donc en particulier à Olivier et Claire, Marielle et Pierre-Yves, Sylvain, Pierre, Sylvie et Jérôme, Stephanie et Odile et Bernard !

Résumer mes impressions finales du Malawi en quelques lignes est un peu une gajeure. Mais voici quelques analyses, partiales et partielles pour mettre un point final aux carnets du Malawi alors que je m’envole pour la France ce jeudi.

Le Malawi est un pays pauvre certes, selon les critères dont on nous abreuve habituellement. Mais dans le même temps, c'est un pays qui sait se débrouiller malgré une aide sociale limitée, à la condition – essentielle – que la stabilité et la paix soient là. C'est sans doute une des clefs pour supporter la mondialisation si l'on considère non pas la mondialisation des mouvements sociaux (Forum Social Mondial et autres mouvements qui cherchent des modes de gouvernance au service des citoyens) mais bien celle dont les mécanismes sont, de la part du Nord :
- à l'étranger : libéralisation économique forcée, par la violence si nécessaire ;
- et au Nord : politique économique supportée par l'Etat, combinée à des efforts massifs, dévoués et soutenus pour miner la résistance au dictat des sociétés multinationales hors de contrôle citoyen ; ces sociétés étant protégées par un Etat dont elles sont largement les maîtres. Avec toujours ce leitmotiv : mutualisation des crises et des pertes, privatisation des profits.

Je disais donc que le Malawi offre un cadre de résistance intéressant à cet ordre mondial imposé. Il y a néanmoins des limites à cela. Si le gouvernement malawien a su passer outre les recommandations de la Banque Mondiale et du Fond Monétaire International pour finalement subventionner son agriculture (comme le font d'ailleurs les Etats-Unis ou la France) cela s'est néanmoins accompagné de l'introduction de des multinationales en question, en l'occurrence celles de l'agro-alimentaire, avec la figure de proue Monsanto et son équivalant Pioneer. Cette politique de l'Etat malawien a eu un impact probablement positif (à court terme du moins) dans la lutte contre la faim. Dans le même temps, si les paysans malawiens sont encore très autonomes, ce qui force mon admiration, ils sont confrontés à des efforts persistants pour les rendre dépendants de notre système mondialisé, particulièrement via la nature des semences et intrants agricoles (semences hybrides stériles...).

Au sujet des interdépendances, la question du tabac est intéressante. Source de devise pour le pays, son exportation se trouve confrontée à la question morale des conséquences finales de sa consommation, fortement létales en terme de santé publique mondiale (que ce soit au Nord comme au Sud). Dans le même temps, cette production qui était jusque dans les années 1990 fortement dominée par les plantations des grosses sociétés, est aujourd'hui largement co-alimentée par une production d'échelle familiale. A moins de trouver une culture de rente alternative viable, l'idée de proscrire aujourd’hui la production de tabac au Malawi pour des raisons de santé publique est ainsi discutable.
Pour l'instant, le Malawi ne constitue pas une cible stratégique importante pour les pays occidentaux d’un point de vue militaire, comme c'est par contre le cas de l'Amérique Latine qui voit s'installer des bases militaires américaines (en Colombie) au nom de la lutte contre le narco-terrorisme. La situation est très différente au Malawi en partie parce-que que les principaux agents de distribution du tabac sont les grandes compagnies occidentales (états-uniennes essentiellement) amies de nos gouvernements. Tant mieux pour les petits pays malawiens, même s'ils ne retirent qu'une petite partie des profits de ces grosses compagnies tabatières.

Quoi qu'il en soit, la lutte contre la pauvreté et ses corollaires (manque d'accès aux services de santé, manque d'accès aux services d'éducation) est une réalité au Malawi. Malgré un manque criant de moyens, des progrès sont enregistrés que ce soit dans le domaine direct de la santé (lutte contre le paludisme ou la malnutrition en particulier) ou indirect de l'accès à l'eau et à l'assainissement. Quoique toujours très dépendante des aléas climatiques (en particulier), cette évolution positive est rendue notamment possible par une stabilité sociale et politique exceptionnelle dans la région. Ainsi, quand on s'intéresse réellement au devenir des citoyens, point besoin d'agiter l'épouvantail de la peur via un discours sécuritaire ou au déploiement de forces de l'ordre et de caméras de surveillance. Il importe surtout d'assurer une libre circulation des personnes tout en bannissant celle des armes…

On pourrait arguer que le climat social au Malawi n'est pas rose pour tout le monde ; que ce soit pour la situation des femmes ou celles des homosexuels. Néanmoins, nos sociétés occidentales, si promptes à critiquer ces situations, ne sont pas en reste quand il s'agit d'appliquer une répression inique à d'autres populations dont elles ne savent que faire. Je pense ici particulièrement aux immigrés (y compris les réfugiés politiques), aux Roms et autres gens du voyage…

Venons en à ce qui m'a plus particulièrement concerné : le travail dans une ONG sur un projet de développement communautaire spécialement axé sur la lute contre la mortalité liée aux maladies diarrhéiques via la promotion à l'hygiène, l'accès à l'eau potable et l'assainissement. Comme toute action, il faut la placer dans son contexte :
Le Malawi est un pays qui tente de faire quelque chose à la mesure de ses moyens, mais qui en manque cruellement. Un pays qui reçoit une aide multiforme de la part de multiples organisations institutionnelles ou non gouvernementales internationales.

La multitude des acteurs aux motivations diverses comporte plusieurs dangers.
D'une part le risque de voir agir des organisations disons… néfastes : à savoir qu'elles ne se posent pas la question des besoins réels, qu'elles distribuent gratuitement n'importe quoi "pourrissant" les communautés et qu'elles ne se posent pas non plus la question de la durabilité de leurs actions.
D'autre part le risque d'avoir trop d'acteurs sur la même zone qui, au lieu de travailler ensemble, se prêtent à une sorte de compétition "au plus offrant", pourrissant là aussi les villageois.
Enfin le risque que, via un assistanat orienté, on tue les initiatives communautaires – intentionnellement ou non.

J'ai eu de la chance sur mon projet. D'une part du fait qu'il s'agissait d'actions s'inscrivant sur du long terme (les premières actions sur la zone ont démarré au début des années 1990). D'autre part parce qu'il y avait jusque récemment peu d'autres ONG et que les relations et la coopération avec les agents du gouvernement étaient bonnes. En impliquant ces derniers le plus possible, en participant à leur formation et en partageant les informations, il y a de bonnes chances qu'ils puissent continuer à suivre sur du long terme les actions entreprises dans les villages. La participation des villageois, mot clef des actions du projet, reste par ailleurs l'élément fondamental permettant d'espérer une durabilité des actions. A titre personnel j'ai particulièrement apprécié la grande liberté d'action et d'initiatives qu'on m'offrait. Tout cela est donc particulièrement positif.
Il y a des des critiques à faire évidemment. Sans rentrer dans les détails, un des points principaux que je retiendrais, mais qui n'est pas propre à mon organisation, est que l'on pousse toujours beaucoup trop à financer des projets qui donnent la part belle aux dépenses matérielles : c'est tellement plus pratique pour les bailleurs de payer la construction de forages ou de dalles de latrines en béton que de payer des travailleurs sociaux.
Ainsi, sur mon projet je considère qu'il y aurait tout à fait la possibilité d'avoir une action encore plus efficace en terme d'hygiène et d'assainissement via plus de formation, plus de ressources humaines et plus de monitoring que via la constructions de milliers de dalles de latrines en béton, certes durables mais non reproductibles car inabordables pour la plupart des villageois.
C'est une culture du dur et du visible qui a la cote chez tous les bailleurs et qui, si on pousse un peu plus loin, permet de maintenir des populations dans un état d'assistanat au lieu de réaliser une véritable coopération pour appuyer leurs initiatives et la recherche de solutions locales avec des matériaux locaux.

Au final, la coopération peut fonctionner et il y a de nombreux exemples pour en témoigner. Mais, dans d'autres cas, cela peut être de la part des bailleurs de fonds occidentaux une façon de se donner au mieux bonne conscience, au pire de miner un développement autonome alternatif.

Ne vous détrompez pas, je reste personnellement tout à fait positif sur mon projet. Il ne tombe en effet pas dans l'excès des défauts soulevés plus haut. Malheureusement le projet est aujourd’hui à court de financement, et cela m’attriste pour mes collègues et amis, ainsi que pour les communautées que j’ai eu beaucoup de plaisir à cotoyer.

L'aide au développement vers les pays du Sud est un impératif délicat qu'il convient d'appliquer avec précaution. Et cela ne doit pas empêcher les pays riches de prendre leurs responsabilités par ailleurs, en particulier via l'annulation de la dette "odieuse" des pays pauvres. Les citoyens du Nord pâtissent aussi du système en cours. Le transformer est un impératif pour tous… sauf pour les plus riches.

Mais, chers lecteurs réguliers et assidus de mes carnets du Malawi, je vous prie d'en retenir aussi la part de rêve et d'exotisme, les petits détails et les petites histoires qui font ce que sont les gens et les lieux ici. Au-delà des idées et des controverses, ce sont eux qui m'accompagneront dans mes prochaines pérégrinations. Merci à tous, amis du Malawi, de France et d'ailleurs ! Et bon fil de l’eau à Thomas, mon remplaçant !

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Commentaires
S
<br /> Le Malawi doit être un merveilleux pays. Ah c'est si bon de voir d'autres régions du monde.<br />
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C
<br /> <br /> Bonjour Sarah,<br /> <br /> <br /> Oui, clea vaut le coup de visiter le Malawi. Si vous avez la possibilité, n'hésitez pas !<br /> <br /> <br /> Bien à vous<br /> <br /> <br /> Clem<br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> Malgré la pauvreté économique,la population maliwiénne se débrouille pour survivre. Votre projet a été très intérèssant et porteur d'espoir. J'espère que la population en a profité pour changer<br /> leur mode d'hygiène.<br />
Répondre
C
<br /> <br /> Bonjour Sarah,<br /> <br /> <br /> Oui, il y a beaucoup de force et de résilience dans la population rurale malawienne, face à un manque d'espace cultivable et avec la nécessité de produire sa propre nourriture. C'est dans<br /> l'échange ici et là-bas qu'on obtient peu à peu des évolutions positives, y compris dans le domaine de l'hygiène.<br /> <br /> <br /> Merci<br /> <br /> <br /> Clem<br /> <br /> <br /> <br />